Slide show |
Presse |
||||
GORE
+ CHIC = TRES CHIC |
|
|
UN CREATEUR AUX FRONTIERES
DU REEL MUTE LART PLASTIQUE EN PRET-A PORTER. Par Chloé Delaume Début février. Bouiboui chinois. Le serveur ne ma pas demandé si je voulais la spécialité, mais Eric Arlix a traversé la salle un pod au bout du bras. Il a toujours des trucs bizarres le Arlix. Des montres bioniques des pantalons pas en tissus et un tas de machins qui me donnent limpression dêtre la fille la plus obsolète que la Terre ait portée. Et là clairement il avait piqué le pod dAllegra Geller. Jai cru quil allait en sortir la PS3 mais pas du tout. Juste un sac quil a dit. Même que ça sappelle le SkinBag et que cest un artiste contemporain qui fait ça. Cest en latex, avec des teintes couleur de peau, plusieurs modèles sont déclinés et cest drôlement pratique. Jai noté les coordonnées du site dOlivier Goulet et je me suis promis de faire le ménage dans mes DVD. Si ExistenZ commence à faire des incursions dans le réel je vais pas être dans la merde quand ça sera au tour de Shinning. "Enfin un accessoire épidermique et polysémique, une alchimie réussie entre captivant & repoussant pour une mode moins complaisante mais dune efficacité terrible." Cest la meilleure définition possible du SkinBag. Jen ai commandé un et la première fois que je me suis baladé avec jai eu limpression de participer à une installation. A cause du côté uvre dart déjà : chaque sac est unique et numéroté, pour aller vers une personnalisation maximale. Pendant le processus de fabrication des inscriptions, des dédicaces, du texte, des images ou des logos qui caractérisent le commanditaire sont insérés dans la matière comme des tatouages. Et puis aussi parce que les réactions sont assez vives, que les regards portés sur cet objet laissent présumer un choc suivi dune réflexion. Jusquau Monoprix du coin les gens marrêtaient, interloqués. Cétait étrange. Jétais devenue malgré moi la composante dune performance dun nouveau genre, du body art prêt-à-porter. Mais cette sensation na pas duré. Probablement parce que je passe plus de temps dans les cafés de mémés que dans les soirées arty, 24 heures après mon acquisition le SkinBag était devenu un accessoire, certes singulier, mais un simple accessoire en soi. Totalement intégré à mon dressing. Son aspect fonctionnel sest imposé, le latex étant nettement plus léger que le cuir. Une matière aussi souple permet dy fourguer un quintal de fourbis, et que cest toujours plaisant de se trimballer avec le sac de Mary Poppins. Jai voulu voir de plus près si Olivier Goulet travaillait chez Anthéna, et si léquation proposée par Claude Closky pour qualifier le SkinBag était truffée dinconnues ou de plusieurs degrés : "Gore + Chic = Très Chic" est un axiome qui savère finalement assez juste, et la rencontre avec ce créateur hors norme laisse entrevoir la mode comme un terreau fertile à lactivisme artistique. Chloé Delaume : Doù vient le SkinBag ? Olivier Goulet : Je travaille depuis des années sur lidée de territoire-peau-corps-organisme. La Vente de Territoire Par Correspondance répertorie et commercialise sur Internet des parcelles de peau numérisées du corps de Gilles Virget. Lidée du prélèvement de fragments corporels était donc déjà présente. Puis, jai mariné des années sur mon projet du Sac à Os, jai trituré la matière dans tous les sens avant de réussir à le scinder en deux propositions distinctes : La Relique de lhomme bionique, qui sintéresse à la relation du fonctionnement structurel de lhomme et de la machine ; et le SkinBag qui développe le superficiel, la poche. La dissociation du squelette et de lépiderme me permet de préserver laspect métaphorique de chaque proposition. Dun côté une ossature sans enveloppe ; de lautre un contenant mou, sans structure. SkinBag est donc le fruit dune maturation lente, qui a abouti à un objet à la fois autonome et porteur de sens multiples. Cest sa polysémie qui me fascine. Quentendez-vous par cette notion de polysémie ? SkinBag a une forme immédiatement reconnaissable : cest un sac ou un gilet, mais dont la matière intrigue suffisamment pour que chacun réagisse et linterprète à sa façon. Par exemple, certaines femmes y voient un "placenta portatif" et perçoivent les anses comme des cordons ombilicaux. Dautres personnes dépassent le malaise initial et trouvent ce type de détournement du biopouvoir intéressant. Dautres encore refusent carrément tout contact, voire toute discussion, tant ils se laissent dominer par leur dégoût. Il est manifeste que cest une partie deux-mêmes quils refusent. Cest vrai que la mollesse des sacs évoque la régression, cette partie primaire et trouble de nous-mêmes. Linforme aussi. Heureusement la plupart se sentent naturellement attirés par ces objets. Ils ont instinctivement envie de les toucher. Cest dailleurs ce que je recherche, SkinBag devait être un véhicule sensuel, je veux quil provoque lenvie de caresser. Provoquer lenvie de caresser ou provoquer tout court ? La provocation nest pas une fin en soi, mais un vecteur de communication. Elle ouvre une possibilité de contact. Soit verbale soit tactile. Cest ce mélange de lattirant et du repoussant qui mintéresse toujours. Le SkinBag est donc pour son possesseur une véritable prolongation du corps. Effectivement, pour diverses raisons. Le SkinBag est avant tout un attribut identitaire, un acte volontaire de rendre lintérieur de son corps visible. La peau est une invitation à lextension de son corps. Lextension naturelle est le sac. On y porte ses effets personnels, ceux quils nous faut avoir avec soi. Il existe différents modèles, suivant ce à quoi on les destine. Je cherche le contenant par excellence pour chaque usage : il y a le sac à dos, le cabas pour faire ses courses, le sac à main La peau représente le corps à tel point que nimporte quoi recouvert de peau devient un organisme autonome, en particulier si il a des fonctions numériques. On passe du sac fourre-tout au sac dédié, qui a davantage la fonction denveloppe, où la peau rembourée devient protection. Il y a les SB computer, ou encore le pixel banane qui se porte en bandoulière et contient lappareil photo ou la caméra. Recouvrir nos machines dune peau organique est pour moi le premier pas symbolique vers lintégration de prothèses électroniques en superficie ou dans notre corps. Je veux placer nos organes électroniques et informatiques dans une enveloppe charnelle. De là le passage au vêtement, la combinaison qui protège notre corps semble naturelle. Les gilets sont une première proposition vestimentaire. Jai choisi de commencer par la redondance nécessaire de la double peau. Je ne couds pas les habits, je les moule. Cest lanatomie et la physionomie dune personne qui me donne lempreinte de cette deuxième peau. Le gilet a la couleur de la peau mais ressemble à un corps scalpé, du muscle et des nerfs remontés à la surface. La mode serait donc le meilleur moyen de propager ce rapport au corps ? La mode ? je ne sais pas. La confection de vêtements et daccessoires vendus en boutique est peut-être plus stimulant et plus réactif que le milieu de lart contemporain, trop porté sur la sacralité de lobjet à visée décorative et spéculative . Les SB étaient au départ davantage une proposition de réflexions artistiques quune démarche de designer. Pourtant, force est de constater que finalement ces objets sintègrent parfaitement dans le champ de la mode contemporaine. Investir le champ du paraître sur le terrain et non pas seulement dans les galeries est nécessaire à cette démarche. Ce qui mintéresse finalement est de dépasser la mode pour définir lhomme de demain. Cest une forme dactivisme, ladoption du SB sapparenterait pour vous à une prise de position ? Le SB classic, premier sac du nom est le symbole de la marque. Il provient du moulage dun sac de supermarché. Cest une synthèse entre consommation de masse et peau individuelle. Le thème classique de lexploitation de lhomme par lhomme reste pertinent. Veut-on du générique ou du sur mesure ? Je veux aller au plus proche de la spécificité de chaque individu. Dautre part, je nai jamais cru en un avenir aseptisé comme veulent nous le faire penser les environnements et les simulations en images de synthèse. Le monde de demain ne sera pas hyper clean. Nous néchapperons pas de si vite à notre corps, à ce tas organique que nous sommes. Je conserverai jusquau bout une haute idée du dysfonctionnement de la maladie et de la mort. Cest dans notre matière que se construit notre être : sang, chair, graisse, et toutes ces matières molles et complexes constituent le support qui nous permet daffronter le monde. Ce nest pas lorganique qui va devenir numérique, mais bien la technologie numérique qui va devenir organique.
|
|