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> Texte Nicolas Frespech

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VTPC
— Vente de Territoire par Correspondance
 



L’histoire commence par une rencontre, celle d’un SDF (Gilles Virget) le 6 janvier 1997. Olivier Goulet lui propose de scanner l’intégralité de la surface de son corps et de mettre en vente sur l’Internet les parcelles de peau numérisées.

" Sans domicile fixe ", le sujet de l’expérience est un nomade dont le territoire est donc indéterminé et se réduit finalement à son seul corps.

Tel un satellite enregistrant la surface terrestre, Olivier Goulet numérise un corps qu’il transforme en organisme territorial : " l'image de peau (…) est découpée en parcelles de 10 cm2 environ qui s'imbriquent les unes dans les autres comme les pièces d'un puzzle ou plutôt comme des pays sur une carte géographique ". La tête, la poitrine, l’abdomen, les membres, sont autant de zones géographiques, dont la topographie est décrite de manière poétique. Le centre du visage est par exemple le " lieu stratégique d’où l’on exerce une surveillance étroite sur la quasi-totalité du territoire. La présence d’un orifice buccal en fait un centre de contrôle et de décision irremplaçable. Son exposition remarquable et la diversité de ses paysages séduiront les investisseurs ". On apprend ailleurs que la poitrine est une " zone bénéficiant de l’influence conjuguée du cœur et des poumons. C’est sous un climat salutaire que se sont développées les créations humaines les plus intéressantes qui rayonnent sur la totalité du territoire ". On note encore que le sexe est une région étonnante de l’excroissance terminale. Le sous-sol y est spongieux et mou la plupart du temps. On y observe parfois une modification soudaine qui permet un échange fondamental et structurel avec un autre organisme territorial "…

Les parcelles sont répertoriées selon une nomenclature de type base de données (il y en aurait entre 1000 et 1500) ; chacune d’entre elles est soumise à une analyse scientifique, méticuleuse, où sont répertoriés le nombre de pores, de poils, de plis et rides principales et secondaires, de veines apparentes, mais aussi la pigmentation et tous signes particuliers.
   
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Lot de parcelles
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La peau révèle notre territoire identitaire. Elle est la membrane superficielle de notre intériorité, le paysage de notre identité : " Ce projet devrait s'appeler : " Vente de peau par correspondance ", mais le terme " territoire " précise la première des préoccupations du projet. La peau délimite physiquement notre corps, et c'est finalement l'ultime frontière qui nous permet d'exister en tant qu'individu distinct du reste du monde. Cette enveloppe est une des composantes principales de notre identité ".

La peau d’un homme est donc objet de la vente. Cela signifie-t-il que l’on pourrait désolidariser cette enveloppe de la chair ? La peau devient une extension autonome du corps, un tissu amovible, une seconde peau, et finalement une mue."
Pourtant, ce n'est pas cette peau intégrale qui m'intéresse le plus, mais comment, une fois fragmentée, elle devient un paysage, une vue satellite d'une contrée inconnue dont nous sommes le matériau. Ces îles de peau deviennent des organismes autonomes. Ces petits territoires s'emboîtent et se déboîtent à la surface de notre corps pour finir par le déformer et le rendre flottant ".

Si les médias se plaisent à montrer des corps nus, l’homme contemporain continue de garder son corps comme un territoire " secret " au regard étranger. Ce n’est que dans le contexte particulier et familier d’un rapport intime que l’on abandonne à un autre la découverte de notre corps. L’idée d’explorer intégralement le corps d’un autre renvoie au charnel du toucher et inclut une liaison sensuelle, voire sexuelle.
La VTPC propose une exploration détaillée et fouillée d’un corps nu en " libre service " et en toute liberté, ce qui pourrait paraître " obscène " de prime abord.On a beau tout voir, il ressort pourtant de cette navigation un sentiment de frustration. L’internaute, qui se croyait devenu voyeur en allant surfer, est désappointé : sa demande pulsionnelle n’est pas satisfaite. Que voit-il ? Un corps devenu " abstrait ", éclaté en autant de petites parcelles qui le rendent illisible… Il ne parvient plus à fixer l’image d’un corps qui aurait pu susciter le désir, tant il est fragmenté et fracturé…
D’aspirations érotiques, le projet devient un rapport clinique, le morcellement du corps suggérant quelque chirurgie obscure. Le malaise s’introduit : y a-t-il derrière tout cela le dépeçage d’un pauvre anonyme, ou pis, le travail de découpage d’un boucher ?...


D’un point de vue juridique, cette proposition est à la limite de l’illégalité, puisque la loi interdit tout commerce instituant le corps comme matière première, Le support électronique donne à ce travail un sens métaphorique puisqu'il n'est pas question de vendre réellement des morceaux de peau, mais de pouvoir s'approprier virtuellement une parcelle du corps de quelqu'un d'autre. Pourquoi vouloir acheter un morceau du corps de quelqu'un d'autre ? Pourquoi vouloir en être propriétaire ? Est-il question de posséder l’autre ? ".

La notion de propriété est posée. Dans quelle mesure peut-on s’approprier le corps d’un autre ? Est-ce possible et en a-t-on le droit ? Les schémas d’exploitation relationnelle perceptibles à tous les niveaux dans notre société ne sont-il pas pointés ici ? Le proxénétisme et la prostitution n’en sont que des exemples caricaturaux. L’artiste nous dit que " ce projet n'a pas vocation de revendication politique ou sociale explicite, ni de dénonciation quelle qu'elle soit. C'est une oeuvre d'art dont l'enjeu est une réflexion sur l'identité et l'intégrité de notre corps ". Faut-il le croire ?

Quelle est donc la position de l’acheteur ? Il sait bien qu’il ne s’approprie que virtuellement un terrain, dont il n’aura pas la jouissance… En passant commande, pense-t-il faire acte politique, dénoncer un corps instrumentalisé dans notre société ? Ou, n’est-ce pour lui qu’un jeu, un moyen d’entrer son nom sur le réseau ? Ou pense-t-il faire l’acquisition d’une œuvre d’art contemporain à moindre frais (30 euros la parcelle de 10 cm2) ?

Bien qu’insensée et bâtie sur le principe de l’absurde, cette vente de territoires de peau se concrétise de manière classique par un acte contractuel établi entre l’artiste et l’acheteur, calqué sur un contrat notarial de vente.

Non sans dérision, Olivier Goulet singe les ressorts de la vente par correspondance, " [il] (…) met en vente des parcelles de corps vivants sur le réseau télématique mondial comme d’autres y commercialisent des prestations tertiaires, de la quincaillerie ou des images de sexe ". Il met ainsi le doigt sur la société de consommation qui transforme tout en objet commercialisable : "On pourra y lire une pointe ironique à l'égard des sociétés de V.P.C. qui s'évertuent à rendre indispensable tout ce qu'elles vendent. Il convient d'en détourner le mécanisme pour vendre une chose invendable - notre peau - qui nous a été donnée avec la vie et qui reste tenacement liée à elle ".

Pourrait-on lire dans ce travail une critique des principes capitalistes de notre société, régie par la toute puissance de l’argent, qui nous donne accès à tout jusqu’à l’inachetable ?

Finalement, on se souviendra du voyage sur le corps d’un individu lambda. L’internaute, l’individu contemporain, en circulant sur un corps étranger n’est-t-il pas invité à explorer son propre corps autrement ?


Lot et descriptif d’une parcelle
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Descriptif d’une parcelle
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Portrait de Gilles Virget, 1998



Olivier Goulet, 1997

Le terme "territoire" est ambigu. Il représente d'abord un espace géographique délimité. Par extension, on peut appeler territoire l'espace d'existence d'un objet ou d'un individu. C'est dans ce passage du territoire géographique (qui inclut les principes de la représentation abstraite d’un espace) à ce qui tend vers la définition d'un objet ou d'un individu que se joue l'élaboration des formes que je manipule.

L'existence d'un territoire est relative au déplacement et à la perception d'un individu. C'est l'occupation d'un espace qui en fait un territoire. Dans le cas de l'animal, ce sont ses déplacements répétés et instinctifs, fixant les bornes de son espace vital, qui déterminent son territoire.

Dans le cas de l'être humain, l'idée de territoire est plus complexe en raison de ses facultés de pensée et de langage. Le territoire ne se constitue plus seulement géographiquement ou physiquement de manière naturelle, mais aussi sous forme de "zones d'influences" qu'il s'agit de (ré)activer selon un rythme donné pour constituer le tissu social.

Cette schématisation du mécanisme territorial met en évidence le caractère instable et fluctuant du territoire, puisque celui-ci dépend de l'état de celui qui cherche à le contrôler. Sa délimitation ne peut donc être précise qu'à un moment donné, ce qui contribue à caractériser l'individu et son identité; une identité conçue comme la synthèse de notre territoire affectif, moral, spirituel et physique.

De là vient sans doute la confusion métaphorique consistant à lire notre peau comme une carte de géographie. Notre corps aurait-il en lui l'ambiguïté d'un territoire ? Le vieillissement, l'accident ou la maladie le transforment progressivement. Notre peau, sorte de frontière territoriale, flotte et s'infléchit comme sous une pression antagoniste.

Ce qui nous est donné à voir oscille entre une sorte de puzzle abstrait, un répertoire géographique, un espace désert et vague non encore constitué en territoires, et des mécanismes anthropomorphiques liés à la délimitation et la détermination de ce que nous sommes.

L'île est aussi une métaphore courante de l'individu. Le mythe de Robinson Crusoé est emblématique : Robinson est à la fois prisonnier de son île, et son maître absolu. Il tente d'aménager et d'organiser cet espace vierge et crée ses propres lois d'existence.

Les parcelles de la Vente de Territoire Par Correspondance sont comme des îles dont l'assemblage forme le corps. L'île-parcelle est une pièce de puzzle qui se rattache aux pièces voisines pour former un pavage ou une structure qui peut se révéler étonnante.

La mue renvoie à la frontière physique entre ce qui est à l'intérieur de notre corps et ce qui est à l'extérieur. La mue est une preuve de la complexité de la délimitation, et par extension de la définition de notre être, puisque l'on peut se défaire de sa peau comme d'un habit pour en recréer une nouvelle et parvenir à un nouvel aspect. Notre peau est un lieu privilégié d'émergence de toutes sortes de maladies, qui forment des îles et des territoires à la surface de notre corps.

 

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