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Presse
> Sklunk3 - A. Simon
Anne Simon

témoignage éclairé SkinBag

mars 2006
 

 

 

Déplacements d’Olivier Goulet avec moi-même

 

Mes sacs, SB-fluid noir, et SB-Kabas jaune-blanc, un rien mortuaire, sont pour l’instant au repos, sagement affaissés sur mon parquet - le bois leur va pas mal d’ailleurs. J’aime l’idée qu’ils aient été créés par quelqu’un, et que le moule premier ait été fabriqué par un humain ante-posthistorique, qui tente à la fois d’imaginer l’avenir, et de lui donner sa pitchenette personnelle. Je n’arrive pas à les considérer comme de simples objets, ce sont plutôt de petits animaux domestiques qui me suivront où que j’aille, et qui feront tout ce que je leur demande : fidélité absolue qui manque tant aux humains. Mais comme tous les animaux, même les plus familiers, quelque chose en eux échappe, c’est peut-être l’imaginaire d’Olivier Goulet qu’il a matérialisée, et qui sourd par toutes les pores de latex de mes deux prothèses portatives…

J’aime aussi l’idée d’une peau humaine synthétique, parce qu’elle ne veut rien dire, et que ce rien me parle. C’est un oxymore, une conjonction de deux termes antithétiques : peau humaine/artifice, peau humaine/sève, peau humaine/objet, peau humaine/déplacement, peau humaine/pas la mienne et pourtant elle est mienne, humienne.
J’ai pris deux sacs de différentes couleurs : ils vont très bien ensemble, le métissage leur sied.

Mon SB-fluid est trop petit(e) pour moi, je vais devoir demander à OG le format juste au-dessus, le SB-identity, mais je ne voudrais pas abandonner le fluid que je viens d’adopter.
En effet, hier, pour remplir mes sacs, il m’a fallu vider les anciens, peser et inventorier mon ego. Il pèse lourd en fait, surtout à cause des cartes - besoin d’un étui SkinBag - : cartes de fidélité (je n’ai jamais la bonne sur moi), mais ça fait une bonne pile, cartes de médiathèques et de bibliothèques, carte vitale, carte Flying Blue (ma préférée, je ne voyage pas encore assez pour pouvoir en profiter, mais celle-là, je ne la lâche pas), carte Enfant-Plus (j’oublie de la ranger), cartes de crédit, cartes de foot des enfants qui n’ont rien à faire dans mon cabas mais qui y sont bel et bien, bref bref. Et mes livres, mes photocopies d’articles, les pages arrachées à un journal à lire en urgence depuis des lustres, mes carnets surtout, sur lequel je note tout ce que mon cerveau inabouti n’est pas fichu de retenir.

En fait, c’est cela qui me manque, et je sais qu’OG aimerait résoudre mon problème : un cerveau en cortex-latex, de la matière grise humaine synthétique, fini les poux, place aux puces. Il y aussi mon chéquier, et ma trousse de maquillage, et mon paquet de cigarettes, et le briquet, et les crayons (beaucoup, je les achète, les perds, les vole, en retrouve cinq dans la pochette intérieure de mon kangourou en latex, pourtant il y a une heure encore, elle était vide), la gomme et les chewing-gums. Les mouchoirs, le porte-monnaie (mortels, les centimes d’euros), le flacon anti-allergies, les pilules, les bonbons pour ne pas fumer, les capotes (pas faciales, encore, mais verginales), les lingettes de parfum pour après la danse, et tout ce que j’oublie mais qu’il me faut absolument avoir sur moi, même si les capotes, c’est parfois un peu comme la carte Flying Blue. Ma clef USB, bien sûr, ce petit bâton qui est un double de mon disque dur qui est un double de mon cerveau. Et le i-pod que j’ai piqué à mon fils, et les cailloux que j’ai ramassé en Bretagne il y a deux mois pour ma copine qui fabrique des bijoux.

C’est fou ce qu’il prend de la place, mon ego matériel : je ne pensais pas que je trimballais tant de moi-même avec moi.

Mes sacs m’obligent à penser tous mes déplacements éventuels, c’est pour cela qu’il me les faut grands ou multiples, souples et compréhensifs. Que je sois passée aux sacs d’OG était écrit de toute éternité sur eux : « mutations ». L’idée de me balader avec le strict nécessaire est une idée que je déteste : elle oblige à croire qu’il me serait suffisant, même pour une seule journée, et que cette journée, je pourrais le matin au réveil avoir l’idée de ce qu’elle sera. Qui me prouve que je ne déciderai pas, in extremis, avant de rentrer chez moi, de passer en coup de vent à la bibliothèque de mon quartier pour emprunter un livre pour mon fils ? ou chez mon parfumeur pour dépenser mon chèque-cadeau qui sera bientôt périmé ? ou que mon RER n’aura pas de retard, et que je ne supporterai l’odeur fétide des Halles que si j’ai sur moi l’article incontournable ? Ne pas perdre de temps, mais aussi ne pas encadrer le temps de ma journée à l’avance, j’oscille entre l’utilitaire et l’onirique, bancale funambule sur un fil de latex.

Alors, pour mes déplacements multiples et incongrus, et même si je ne ferai rien aujourd’hui de tout ce que je peux imaginer que je pourrais faire (humaine trop humaine), j’ai besoin d’organes supplémentaires. De poches intérieures. D’anses veineuses et artérielles, aptes à battre le tempo de mon pouls. De fluidité, d’élasticité, de translucidité pas transparente - inutile d’être percée du premier coup d’œil. D’une peau adaptable, posable, transportable, vidable, remplissable : un SkinBag.

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