par Frank Lanot (1996)
Erreur : après, voir arpenté l'exposition de ses divagations poético-cynégétiques, il faut impérieusement conclure qu'Olivier Goulet fait partie (par son père ?) de la tribu des Baulars, qu'il appartient (par sa mère ?) à la lignée des Palans, qu'une trace de filiation Ecalite est certaine, et qu'une larme de sang des Mastadars est d'une évidence noire. Un lecteur pressé ou à la mémoire oublieuse se demandera à part soi ce que sont ces peuplades aussi exotiques qu'ésotériques, et si elles existent sur un atlas compétent. Évidemment qu'elles existent, puisque Michaux les a inventés, et inventoriées dans son Ailleurs, au retour de son voyage en Grande Garabagne. Olivier Goulet, sans conteste, a fait ce Voyage au pays de la magie : il en a rapporté des trophées, Littéralement tarabustés, triturés dans tous les sens, torturés sous toutes les coutures, tripatouillés jusqu'à la moelle. En digne fils des Palans, Olivier Goulet est un chasseur. Traqueur de traces, il vit d'affût et d'attente, prédateur précis, il placarde sur les parois le produit de ses prises. Il accumule avec ferveur. Pouvoir tout voir, tout montrer : Olivier Goulet n'expose, pas il exhibe. Comme d'autres ont l'âge de leurs artères il a, lui, l'intelligence et l'appétence de ses viscères. Donner à voir le corps dans tous ses états : état de guerre, cartes à l'appui ; état de siège, mais cul par-dessus tête ; état critique, les yeux au bord des mots ; état pathologique, tripes en tas, buste goitreux et pustulant état des lieux avec radiographie de la charpente osseuse ; état de transe de l'appropriation du monde et de ses secrets. Le corps est la grande affaire, le grand débat, le grand déballage : à l'aventure de ce corps peint ! photographié tatoué, charcuté, marabouté, griffé, griffonné scribouillé, c'est une moderne Leçon-d'Anatomie qu'Olivier Goulet cisèle au scalpel. S'il a quelque part un modèle, ce doit être un écorché. Mais qu'on ne se méprenne pas : rien n'est moins mortifère que ce grand carnaval du corps dans tous ses états. Car le chasseur a la peau vive, et l'humour affleure par tous les pores. S'il arrête de respirer, c'est, stricto sensu, pour prendre son souffle, comme on prend son temps, ou son vol. C'est l'apnée du voyage en profondeur ; c'est le souffle coupé de l'explorateur pantois devant l'inouï et l'insu ; c'est la petite mort de l'amoureux, et transi et brûlé, tout entier attaché à l'obscur objet de son désir. Le corps jubile : et si la respiration cesse, c'est que l'inspiration se lève. Olivier Goulet a retenu de Cocteau que tout commence par l'étonnement : il n'intéresse pas - vilain mot pour dire l'indifférence polie, il intrigue. Gide dirait qu'il inquiète, au sens où il ne laisse pas en repos. Il vous embarque dans le maillage ductile de ses cohérences aventureuses, et il ne vous lâche pas : et bientôt vous ne savez plus, dans le tissage textuel de ses arabesques, si vous êtes la bête lissant sa toile ou l'insecte pris au piège.
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